Cérémonie des César : « Le règlement n’empêche pas les artistes mis enexamen de concourir et d’être primés »

Alors que s’ouvre demain la 49e grande messe du cinéma français, l’Académie des César reconduit et renforce ses règles concernant les violences sexuelles. Les personnes accusées par la justice pour des faits similaires seront privées de cérémonie mais pas de prix. Pour Clémentine Normand-Levy, avocate en droits des médias, ce règlement est un moyen pour l’Académie d’éviter les polémiques et les rétropédalages embarrassants.

Un sondage réalisé par OpinionWay les 7 et 8 février derniers, publié dans La Tribune Dimanche , révèle que pour un Français sur deux, les acteurs et réalisateurs poursuivis pour viol ou agression sexuelle ne doivent pas continuer à travailler dans le milieu du cinéma tant qu’ils n’ont pas été jugés.
Quatre ans après l’affaire Polanski, deux ans après la mise en examen de Sofianne Bennacer pour viols et violences sexuelles, l’opinion des Français semble se durcir. Dans le même temps, l’Académie des César s’est parée de nouvelles règles qu’elle a récemment renforcées pour son édition 2024 dans un communiqué sobrement intitulé « Non-mise en lumière d’une personne éligible aux César en cas de mise en cause judiciaire ». Désormais, toute personne ayant des démêlés avec la justice (pas forcément condamnée, mais faisant l’objet, par exemple, d’une mise en examen) pour une affaire ayant trait aux violences sexistes et sexuelles ne pourra être mise en lumière lors de la cérémonie.

FACTUEL. En excluant les personnalités mises en examen pour des faits de violence sexuelle ou des propos sexistes, la cérémonie des César se substitue-t-elle à la justice ?

Clémentine NORMAND-LÉVY. Non, l’Académie des César essaie au contraire de trouver des solutions à des intérêts divergents, un équilibre entre le respect de la présomption d’innocence et la parole des victimes. Auparavant, on avait des personnes qui étaient sous le coup d’une mise en examen ou d’une condamnation et qui pouvaient bénéficier d’une mise en lumière en étant sélectionnées pour leur qualités artistiques. La question est comment concilier une enquête, des soupçons de potentielles victimes avec la notoriété accordée à l’artiste ? Le travail qu’a fait l’Académie des César pour essayer de ménager les différents intérêts est assez intéressant dans la mesure où il s’appuie sur une décision de justice. Tout de même, il reste une zone grise concernant les révélations de violences sexuelles ou propos sexistes dans les médias et les réseaux sociaux, sans qu’elles aient fait l’objet d’une vérification formelle de la part de la justice.
En ce sens, les César essaient de faire la part des choses. L’Académie différencie les accusations sur les réseaux sociaux, qui se transforment en un tribunal médiatique populaire, avec une décision de justice réelle. Il ne suffit pas d’une dénonciation sur Twitter, Instagram pour qu’un artiste ne soit pas acclamé, félicité. Les César ne sont pas à l’initiative d’une quelconque mise au bande la société des artistes qui serait mis en examen, parce que si on en arrive à une non-mise en lumière, c’est que l’affaire a déjà éclaté. Ce règlement n’est pas une finalité mais un exemple sur lequel il faut continuer à construire.

L’Académie fait-elle fi de la présomption d’innocence ?

Le règlement n’empêche pas les artistes mis en examen de concourir et d’être primés. C’est une non-mise en lumière, c’est-à-direque si cette personne venait à gagner un prix, elle ne pourrait monter sur scène le récupérer, ni y envoyer un émissaire.
Si selon moi, la présomption d’innocence n’est pas bafouée, il est vrai que le traitement différent accordé à ces artistes peut d’unecertaine manière venir soutenir la thèse de la culpabilité. Il faut bien comprendre qu’il n’existe pas de solution extraordinaire. C’estpour cela que je fais le parallèle avec la détention provisoire : on parle d’emprisonnement d’une personne présumée innocente quin’a pas encore été jugée. Et pourtant, personne ne crie à l’injustice quand on évoque la détention provisoire.
Il serait intéressant d’aller jusqu’au bout de la logique est d’avoir une procédure de réhabilitation et de remise en lumière a posteriori lorsque l’accusé est déclaré innocent.

En 2022, Sofianne Bennacer, premier rôle du film Les Amandiers, de Valeria Bruni-Tedeschi est mis en examen pour « viols et violences sur conjoint ». Il avait été retenu dans la liste de la trentaine de « révélations » des César, avant d’en être sorti en urgence, quand les poursuites judiciaires à son encontre ont été rendues publiques. L’Académie veut-elle s’éviter des polémiques et d’embarrassants rétropédalages ?

Les César ne souhaitent plus revivre des polémiques comme celle survenue en 2020 avec Roman Polanski. Ce règlement, c’est une réponse pour éviter qu’aucun scandale n’éclate durant et après la cérémonie. Les César ne veulent pas être la proie de ces affaires de justice qui détournerait les téléspectateurs du véritable enjeu de ce rassemblement annuel : récompenser des artistes, des réalisateurs et des techniciens du septième art.

Adèle Haenel, Judith Godrèche, affaire Depardieu… Pourquoi le mouvement #Metoo a tant bousculé le cinéma français ?

Le cinéma a une visibilité auprès de tous et forcément ce qui se passe dans cette industrie se voit plus facilement. Le mouvement #Metoo a changé tous les niveaux de la société, pas seulement le cinéma. Un travail de pédagogie, de prise de conscience, d’écoute a été fait auprès principalement des forces de police pour accueillir la parole des victimes et des femmes. En ce sens,#Metoo a révolutionné la justice française.
Depuis ce mouvement initié en 2017, le monde du cinéma cherche les règles communes qui faut appliquer pour gérer les scandales à la fois dans le respect de la présomption d’innocence et dans le respect de la parole des victimes.


Articlé écrit par : ROMAIN VINTILLAS

https://factuel.media/media-influence/articles/ceremonie-des-cesar-le-reglement-nempeche-pas-les-artistes-mis-en-examen-de_tco_20628181

No Comments

Post A Comment